
À Saint-Martin, Marc Potier perpétue l’héritage familial en surmontant les multiples défis d’une agriculture locale fragilisée par la concurrence mondiale et les enjeux climatiques.
Entre aléas climatiques et exigences économiques, le métier d’agriculteur a bien changé. Marc Potier, installé à Saint-Martin, nous raconte son quotidien, fait de défis, mais aussi de belles réussites, dans un contexte où le secteur agricole est sous forte pression.
Pour vivre de son métier, Marc est associé avec son épouse et son fils. « On a encore cette chance-là », dit-il. « Ça nous permet de prendre un peu de temps pour nous.»

A Saint-Martin, ils exploitent 70 hectares de terres ou ils cultivent la pomme de terre et élèvent des vaches mixtes. « C’est une race laitière, mon épouse produit d’ailleurs du lait. »
Pour Marc Potier, maintenir la ferme de son arrière-grand-père en activité est un défi quotidien. Créée en 1924, cette exploitation est une des rares encore actives sur le territoire communal.
« Aujourd’hui, la plus grosse inquiétude des agriculteurs, c’est la concurrence mondiale », résume-t-il , « parce que nous, nous avons des coûts de production qui sont liés au fait qu'on est en Belgique. C'est un métier absolument sédentaire. On ne sait pas délocaliser. La culture, on ne sait pas la déplacer. Il y a le climat, il y a le sol, etc. »
Cette divergence, elle se résume à un mot qui, aujourd’hui, hérisse les poils des agriculteurs belges et européens : le Mercosur. Le Mercosur, c’est la zone de libre-échange qui regroupe cinq pays d’Amérique latine : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. Un bloc au poids économique puissant dont l’Union Européenne veut se rapprocher via une intensification des échanges commerciaux.
Pour les agriculteurs, les normes environnementales et sociales européennes sont bien plus strictes que celles appliquées dans les pays du Mercosur. « Dans les accords du Mercosur, il y a l'importation de viandes d'Amérique latine », continue Marc Potier. « Ces viandes-là arrivent principalement congelées : vous n'allez pas en trouver sur l’étal du boucher ou même dans les grandes surfaces, mais dans les produits transformés comme des raviolis, des lasagnes, etc. Vous ne regardez pas l'origine de la viande quand vous achetez une lasagne. D'ailleurs, ils ont fait passer de la viande de cheval à un moment dans les lasagnes (…) C'est un accord commercial. Seulement cette viande-là va remplacer notre viande. »
En l’occurrence, ce qu’on appelle les bas morceaux. « Quand vous mangez du bœuf, il n’y a plus beaucoup de gens qui mangent des carbonades, on mange également moins de blanquette de veau… Toutes ces viandes qui sont sous-classées rentrent dans cette filière-là. Si on amène de la viande, des quartiers arrière qui sont plus faciles à travailler, qui arrivent congelés d'Amérique du sud, qui sont moins chers que nos bas morceaux : que va-t-on faire de nos bas morceaux ? On va les jeter, on va les détruire. On va les utiliser pour des usages encore moindres. Ça veut dire que le prix d'achat de nos bêtes va être dévalorisé. Dans un bœuf, vous prenez 10 kilos de beefsteak et puis ce qui reste vous en faites quoi ? Actuellement, il y a ces débouchés industriels, il ne faut pas se cacher. Beaucoup de gens mangent du plat préparé. Donc c'est un vrai débouché. Ces gens-là font déjà pression sur le prix, mais quand ils vont avoir une offre encore moins chère ça va être remplacé. C'est clair. »

Un exemple qui vaut aussi pour d’autres produits que la viande, comme la betterave par exemple. « Pour l'année prochaine, les prévisions sont très mauvaises parce que le prix du sucre mondial tombe », explique Marc Potier qui produit également des betteraves. « Coca-Cola y met du sucre de canne, du sucre extrait d'une autre plante ou n'importe quoi. Pour eux, ça importe peu. C'est le goût sucré du coca. C'est le moins cher qu’ils mettent dedans. Le sucre de canne qui vient du Brésil n'est pas mauvais, mais on paye les gens à huit euros par jour au Brésil (sic). On prend des gens dans les favelas pour le faire. Il n'y a pas de droit social. Ce sucre va traverser l'océan alors qu'on en a ici. Mais c'est sûr qu'il revient plus cher ici parce qu'on paye les gens plus ou moins correctement. Et on a des horaires de travail. On a des coûts de production parce que le sol en Belgique ne coûte pas le même prix qu'au Brésil…»
Entre rigueur et préjugés : le quotidien des agriculteurs wallons
Les agriculteurs wallons travaillent sous une surveillance stricte, garantissant une qualité irréprochable à chaque étape. De l'élevage à la vente, tout est tracé avec précision : origine des animaux, suivi sanitaire, contrôle des conditions de production, etc.
Cette rigueur assure des produits locaux sûrs et respectueux des normes les plus exigeantes, pour une alimentation en toute confiance. Marc Potier regrette néanmoins ce qu’il appelle un agribashing, de la part de plusieurs citoyens qui se plaignent du bruit ou des odeurs. « Et puis, il y a l’agribashing général dans les médias par rapport à l’utilisation du glyphosate. Or, ça n’a jamais été le cas, c’est un herbicide. Si je pulvérise ça sur me patates, elles meurent, elles sont immangeables. On n’a jamais utilisé ça sur aucune culture. On l’utilise par exemple sur des chardons, mais jamais sur des cultures. Mais à la TV, on n’explique jamais à quoi servent les glyphosates, ni à quelle période ils sont utilisés et dans quelle situation! »
Des revenus imprévisibles
Alors que les coûts de production augmentent sans cesse, les revenus, eux, peinent à suivre. Entre la pression des marchés mondiaux, les normes européennes strictes et les attentes des consommateurs, les agriculteurs se battent pour obtenir une juste rémunération. « Heureusement qu’on peut manger nos pommes de terre et boire notre lait », plaisante Marc Potier. Au-delà de cet humour qui sauve, il illustre ce constat par un simple exemple : le prix du lait. « Actuellement, à la production, le lait nous coûte +/- 30 centimes au litre. Nous sommes payés +/- 50 centimes au litre par la laiterie… pour l’instant car on n’a aucune garantie. Il se peut que dans trois mois, il ne soit plus qu'à 40 centimes/litre. On produit notre lait, par exemple en janvier, sans connaître le prix auquel nous serons payés. Le 15 février, la laiterie nous paye et on découvre le prix à ce moment-là (...) Mais eux, ils vendent le lait au prix de 1 euro par litre. »